Le modèle scandinave : la prison rêvée ?

Les pays scandinaves ferment leurs établissements pénitentiaires, et il ne semble pas y avoir chez eux d’explosion de la criminalité ni de la délinquance. Est-ce que leurs citoyens y seraient plus vertueux que dans le reste du monde ? Pour la majorité de leur population sans doute : bien éduqués, peu de chômage, une excellente protection sociale, autant d’atouts pour mener une vie décente loin d’une cellule. Mais comment font-ils avec les voleurs, trafiquants, meurtriers, et autres inévitables réfractaires au bonheur social proposé ? Une seule explication : ces États ont payé suffisamment de professionnels de la délinquance pour étudier à fond le problème, fait – depuis longtemps à présent – un état des lieux de leurs détenus, puis lancé des programmes de prise en charge dans chaque prison pour éviter la récidive. En clair, ils ont osé regarder la réalité en face à tous les niveaux, étudié le coût social induit, entre le choix d’une prévention efficace et celui d’une politique carcérale de l’autruche telle que nous la pratiquons en France.

En effet, à l’opposé, les prisons françaises sont surpeuplées, mal entretenues, pleines de petits délinquants qui en sortent braqueurs de banque ou autre chose, prêts dans tous les cas à récidiver faute d’avoir pu bénéficier lors de leur passage de cette fameuse seconde chance dont les médias nous rebattent pourtant les oreilles dès que le sujet est d’actualité. Le budget alloué à la justice est insuffisant et le restera pour trente-six bonnes raisons, dont la première sera de laisser croire aux citoyens que la prison, dans tous les cas « c’est pour les autres, ces moins-que-rien qui ne méritent même pas leur séjour dans l’un de ces établissements trois-étoiles avec télés mises gratuitement à leur disposition ». Et peu de personnes politiques ont envie de s’occuper d’un tel sujet, où il y a plus de coups à prendre que d’électeurs à gagner.

Revenons à nos Scandinaves : et si la fermeture des prisons révélait autre chose chez eux ? Est-il souhaitable de s’occuper à ce point des gens, de les contrôler entièrement de la naissance à la mort ? Parce qu’au bout du compte, ne sommes-nous pas en ce cas dans l’aboutissement du système policier et carcéral rêvé, planifié, dans une prison plus mentale que physique, avec des barreaux dans la tête, à ciel ouvert, et de laquelle il est inutile de s’échapper puisqu’on s’y trouve dès la naissance ? J’ai bien connu la Suède à la fin des années 70 (excepté l’arrivée des migrants, ça doit être à peu près pareil aujourd’hui) : paysages magnifiques, petites villes propres partout, peu de pauvres, un modèle social envié, mais avec une population sous surveillance permanente, et ça se voyait. Flicage complet de la naissance à la mort, destiné selon la police et les services sociaux à contrôler le bien-être des citoyens. Ayant eu l’occasion de me lier d’amitié avec certains habitants, ces derniers m’ont parfois raconté leurs courts séjours en prison, qui pour une conduite en état d’ivresse, qui pour avoir fumé le joint de trop, ou bien c’était le père qui n’avait pas réglé à temps la pension alimentaire suite à son divorce, etc. Clairement, de tout petits délinquants. La Suède s’occupait un peu trop bien de ses citoyens, lesquels du coup n’étaient pas très heureux.

Qui a écrit qu’un état policier bien rodé n’a plus besoin de police ? William Burroughs, auteur sulfureux très lucide, suite à un séjour déprimant à Malmö.

Marc Beirnaert